20.06.21 11:30

King Buffalo

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Malgré une pandémie rude à plus d’un titre et particulièrement frustrante, le trio derrière King Buffalo n’a clairement pas chômé puisqu’il prévoit non moins de trois albums avant la fin de l’année. Avec un style inclassable et des textes pesants et difficiles, le groupe nous fait part de son spleen, marqué par une période de grands bouleversements. C’est le guitariste et chanteur Sean McVay qui a répondu à nos questions portant autant sur le travail de Beksinski que sur la morosité ambiante découlant de leurs chansons aux titres mystérieux.

Félicitations pour ce nouvel album ! Le premier truc qui m’a surpris en me renseignant sur sa conception est qu’il s’agit vraisemblablement du premier opus d’un trio prévu pour cette seule année 2021. La pandémie vous a inspiré tant que ça ou particulièrement ennuyé ? Que pouvons-nous attendre sur ces albums à venir ? Une sorte de « trilogie » cohérente ou au contraire des titres très différents ? La pandémie a réduit à néant tous nos projets de tournées pour 2020 et il fallait donc trouver une alternative pour rester productif. Comme en plus le nombre d’infections était plutôt bas au sein de notre ville, on a pu se permettre quelques jam sessions… tout en gardant le masque ! On a rapidement accumulé des heures et des heures de nouveau contenu potentiel, ce qui a rapidement fait germer l’idée de produire trois albums pour contenir tout cela. Chacun d’eux aura un style et une ambiance différente, tout en ayant un « scénario » plus global.

Vous vous considérez apparemment comme un projet « heavy psych rock », mais cet album comporte aussi des touches prog marquées. Était-ce un choix délibéré et conscient ou plutôt une évolution naturelle de votre son ? Quel a été votre état d’esprit sur la façon de concevoir l’album ? Je pense que c’était une évolution naturelle. Nous sommes fans de tout type de musique aux relents progressifs, et on tente perpétuellement de nous surpasser et de faire évoluer notre son. Pour l’album, on s’est penché un peu plus sur des rythmes hors du commun ainsi que des sonorités uniques.

J’ai également remarqué que malgré une atmosphère assez inquiétante planant sur la plupart des titres de l’album, chacun des titres « sonne » assez différent l’un de l’autre. « Locusts » paraît presque mystique, tandis que « Hebetation » est plus pêchu avec des riffs et une batterie plus marqués. Comment parvenez-vous à rester cohérent en déployant une telle versatilité ? Hmm… Je dois dire ne pas savoir si on s’en est vraiment préoccupés. On apprécie simplement varier les plaisirs et expérimenter avec des sons nouveaux. Mais au final, ce sont toujours les mêmes mains et les mêmes esprits qui les sortent ! Ce serait difficile de produire quelque chose qui ne sonne pas comme du King Buffalo. On essaye simplement d’avancer sans spécialement se soucier du reste, à moins que cela ne se mette à sonner vraiment bizarre !

Je suppose que la pandémie a également permis un mix intéressant de frustration et de créativité pour tout un panel d’artistes. Vos chansons paraissent assez pessimistes, parfois même nihilistes. Si certaines d’entre elles forment une sorte de poésie noire, un titre comme « The Knocks » paraît carrément dépressif ! Idem pour « Burning ». Êtes-vous attirés par des thématiques plus moroses ? Qu’est-ce qui inspire vos textes ? Est-ce que vous vous sentez bien, personnellement ? Lorsque nous écrivions l’album, j’étais dans une période assez difficile. J’ai eu des soucis familiaux qui trainaient déjà depuis quelque temps, tout en devant vivre avec l’état de plus en plus lamentable et même horrifiant de la culture et de la vie politique américaines… Si on rajoute une pandémie d’ordre mondial et tout cela mis ensemble a pas mal joué sur ma santé mentale. Si j’avais voulu écrire quoique ce soit d’autres lors d’une telle période, le résultat aurait été faux, malhonnête et forcé. Alors j’ai simplement voulu écrire sur ce que j’observais et ressentais. Je suis quelqu’un de plutôt intimiste, donc partager ces sentiments à la face du monde était aussi difficile qu’effrayant. L’album n’est pas qu’une façon de grandir en tant que groupe, mais aussi pour moi, à titre personnel. L’expérience fut très cathartique.

Puisque j’évoquais « The Knocks », elle paraît avoir quelques congruences avec « Silverfish », notamment dans leurs sonorités. Était-ce une manière consciente de les connecter ? Oui. Ces deux chansons prennent place dans l’esprit du protagoniste de l’album. Elles ont la même tonalité et utilisent un effet similaire au niveau de la guitare, afin de les placer dans le même « contexte ». « The Knocks » est la pleine continuation de « Silverfish ».

Les titres de vos chansons sont également plutôt cryptiques, parfois même obscurs. J’ai écouté l’album trois fois et j’admets ne toujours pas comprendre pourquoi « Locusts » ou « Loam » par exemple. Sans nous donner toutes les clés, pouvez-vous nous expliquer comment un titre se rattache au contenu d’un morceau ? Comment choisissez-vous leurs noms ? Et bien, je ne veux pas en dire trop justement, pour éviter de forcer une interprétation plutôt qu’une autre ! Je dirai que pour « Locusts », on évoque l’idée d’une force écrasante, agissant comme une peste accablant les gens qu’elle est supposée servir. « Loam » est un synonyme de « soil » (ndlr: "souiller"), et c’est un aspect crucial de cette chanson. Trouver des noms pour un morceau est toujours un procédé particulier, et c’est généralement ce que l’on fait en dernier. En fait, la plupart de nos chansons n’ont même pas de titre finalisé lorsque nous nous accordons sur le titre de l’album ! En général, je préfère trouver un titre provisoire qui annonce la couleur du morceau… et ce dernier fait le reste, imposant de lui-même le titre final.

J’ai pu comprendre au fil d’interviews que tout le monde n’aime pas forcément parler en termes de « genres » et choisissent au contraire de simplement faire ce qu’ils ont envie de faire. Néanmoins, j’avoue avoir été un peu surpris en entendant des paroles, du texte en lançant l’album ! Le côté prog ou un peu post-rock m’a habitué à une place plus secondaire des paroles. Disons que votre musique pourrait sans doute s’écouter sans elles, mais ce n’est pas du tout une critique ! La voix plus douce et grave rajoute un côté plus « chaleureux » malgré vos thématiques difficiles. Est-ce que les paroles étaient planifiées d’emblée ? Est-ce que vous considérez que vos titres seraient « diminués » sans elles ? J’adore la musique instrumentale, mais je pense qu’avoir des paroles aide à avoir un effet plus structurant, plus lisse. Les paroles « guident » l’auditeur et permettent un scénario plus clair, plus profond. Je ne dirai pas que nous misons tout là-dessus en tant que groupe, mais cela reste un élément important de notre musique. Après, je suis le chanteur…donc, prenez ça avec des pincettes ! [rires]

Un petit mot sur l’artwork : il impressionne d’emblée, et j’ai immédiatement reconnu la patte de Zdzisław Beksiński ! Pourquoi avoir choisi cet artiste et cette toile en particulier ? Qu’est-ce qu’elle raconte sur l’album ? C’est Scott, notre batteur, qui nous a suggéré de nous pencher sur le travail de Beksiński pour la pochette de l’album. C’est un grand fan et c’est lui qui nous a fait connaître l’artiste, dont nous avons fini par égrainer chaque peinture. On était très impressionnés ! L’image que nous avons choisie paraissait englober la thématique et le feeling de l’album parfaitement.

Évoquons brièvement le clip que vous avez sorti récemment. J’ai plusieurs questions à son sujet : premièrement, pourquoi avoir choisi « Silverfish » pour cet exercice ? Est-ce que d’autres vidéos sont prévues pour la sortie de l’album ? Et ce monochrome est plutôt stylé aussi ! Il convient bien au ton sombre et mélancolique de l’album… Est-ce la raison de son utilisation ? Aviez-vous, en tant que groupe, beaucoup de libertés créatives au moment de réaliser le clip ? Nous avions la sensation très tôt lors de l’enregistrement que « Silverfish » avait le potentiel d’être super cool, et que le titre passerait super bien en tant que single. Pour le clip par contre, nous n’avons pas eu beaucoup d’influence sur sa création. On a demandé de l’aide à Mike Turzanski, un artiste et ami que nous estimons beaucoup, et c’est lui qui a élaboré tout le concept et les visuels du clip. On lui a pleinement fait confiance, on savait qu’il pouvait se lâcher, même en ne sachant pas exactement à quel résultat s’attendre. Il nous a simplement envoyé la première ébauche de vidéo après avoir filmer nos scènes, et on était convaincus. Le résultat nous convient parfaitement !

À propos du scénario lui-même, on peut voir la tête et le visage de notre protagoniste se couvrir progressivement de plus en plus de « nerfs », en même temps que le tempo de la chanson s’accélère et devient plus fort et bruyant. Est-ce une façon d’afficher visuellement et auditivement qu’une situation vous rend de plus en plus fou ? « Staring at the cracks in the wall » (ndlr: "regarder les fissures dans les murs") ressemble à quelque chose que l’on a tous du faire lors de cette pandémie ! Comme je disais plus haut, je n’étais pas au top de ma forme lors de l’enregistrement de l’album. J’ai eu l’impression de m’éteindre en quelque sorte, de me réfugier dans mon for intérieur. Et même si chacun à ses propres raisons de se sentir comme cela, je me suis dit que cette sensation devait être assez universelle, au point de permettre à d’autres de se retrouver au sein de la chanson.

J’ai pu remarquer qu’une nouvelle tournée était déjà prévue pour vous. Elle débute dès septembre si je ne dis pas de bêtises ? J’imagine que le public a dû vous manquer ! Qu’est-ce qui les attend, maintenant que vous avez la possibilité de vous produire à nouveau ? Je pense que je peux m’exprimer au nom de tout le groupe en disant qu’on est plus qu’impatient de retrouver les salles. C’est le délai le plus long que nous avons connu entre deux concerts en treize ans. Notre premier concert de reprise va certainement nous paraître très spécial.

J’ai aussi vu que vous aviez proposé plusieurs « lockdown sessions » pendant la pandémie. Même si cela ne remplace bien sûr pas un vrai concert, était-ce une activité qui vous a plu ? Comment les fans ont-ils réagi ? Le succès était au rendez-vous ? Oui, les retours que nous avons eus étaient phénoménaux ! On a reçu un feedback très positif, aussi bien de nouveaux que d’anciens fans.

La pandémie s’est beaucoup invitée dans cette interview et de nombreuses autres, mais est-ce qu’elle a eu un impact « pratique » dans la conception de l’album ? Vous nous avez dit qu’elle vous avait inspiré thématiquement, mais est-ce que le processus d’enregistrement fût bouleversé aussi ? Le processus était clairement différent. Comme je l’évoquais, au début, nous avions la possibilité de nous retrouver avec quelques précautions minimes, car les chiffres liés au COVID étaient bas de notre côté. Mais après quelque temps, le risque paraissait devenir non nécessaire alors que nous avions la possibilité de travailler à distance. Généralement, je taillais dans diverses idées avant de les envoyer aux autres, puis nous répétions chacun séparément. Idem lors de l’enregistrement : nous nous sommes occupés chacun de notre partie individuellement. Lors des finitions, il n’y avait que moi (puisque je suis aussi l’ingénieur du son et producteur du groupe) et alors soit Dan ou Scott. Mais puisque les choses reviennent petit à petit à la normale, on a pu à nouveau se voir tous ensemble et en personne pour l’enregistrement des albums deux et trois. C’est quand même bien mieux !

Enfin, je me souviens d’un concert joué à l’Ancienne Belgique en 2018. Avez-vous des souvenirs du public belge ? Est-ce qu’un nouveau concert dans notre pays vous paraît plausible ? Le public était fantastique et la salle incroyable. Le son surtout était impeccable, tandis que les fans étaient très accueillants… et nous ont permis de tester de super bières belges bien sûr. C’est toujours assez difficile de planifier quoique ce soit en Europe pour le moment, mais je suis sûr qu’on finira par revenir en Belgique très bientôt.

 

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Ale

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