13.03.21 16:07

Conviction

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Olivier Verron n’est pas seulement le leader du groupe de Black Metal Temple of Baal, et le guitariste / chanteur de Conviction. C’est aussi un homme dont la passion pour la musique l’a amené jusqu’à la Sorbonne pour étudier cet art qui nous fait tant rêver. Le temps d’une interview, Olivier nous raconte comment un concert de Cathedral a fait germer une idée en lui, une idée qui s’est transformée en rêve, puis qui est devenue une réalité. Passion, abnégation, intelligence, streaming, Queen et Doom Metal, voilà ce qu’il vous attend dans cette longue et passionnante entrevue.

Olivier, peux-tu nous expliquer comment est né ce projet, Conviction ? Ce projet est né en plusieurs temps. Je découvre le Doom Metal vers 1994/1995, lorsque je reviens en France après plusieurs années passées à l’étranger. C’est à ce moment-là que je plonge dans le Metal underground, jusque-là j’en écoutais, mais du plus traditionnel avec Metallica et Iron Maiden, par exemple. Après une période Death Metal, je tombe sur le Doom et notamment sur Cathedral, que je vois sur scène lors d’un concert où il y avait à l’affiche Deicide et Brutal Truth. Je m’intéresse immédiatement à eux, et dans le livret d’un de leur album, il y a une longue liste de groupes qu’ils remercient, ce qui m’aide à creuser le genre puisqu’il y a des noms comme Saint Vitus et Pentagram. Même si j’écoutais des formations émergentes dans les 90’s qui avaient un style plus Doom/Death comme My Dying Bride, c’est vers le Doom à l’ancienne que j’ai naturellement été porté. À ce moment, l’envie de monter un groupe dans ce style me vient, sauf qu’aucun musicien n’est intéressé, ils sont tous branchés Death ou Black au mieux du Doom/Death, mais pas celui que j’ai envie de jouer : le Doom old school. Chemin faisant, j’ai monté mon groupe de Black Metal, Temple of Baal, tout en gardant dans un coin de ma tête que le moment se présenterait forcément un jour de jouer du Doom à l’ancienne.

Au final, tu as été patient et ça s’est fait… Exactement. En 2013, un matin, j’ai branché ma guitare et sur une journée j’ai composé et enregistré la démo de Conviction. J’ai mis en ligne la démo sur Bandcamp, uniquement en format digital, les retours ont été très bons d’ailleurs. J’ai ensuite publié un peu plus tard un deux titres, toujours sous forme de one-man-band. Le tournant a été le projet tribute à Cathedral initié par la scène française, mais ça m’embêtait d’enregistrer un titre pour ce tribute sans un vrai batteur. Après quelques recherches, Rachid Trabelsi me contacte en me disant qu’il est très intéressé, de là je me dis autant monter un groupe complet d’autant que je voulais jouer live, j’ai fait appel à deux vieux amis, qui sont des musiciens extraordinaires, Frédéric Patte-Brasseur et Vincent Buisson et le line-up de Conviction est né autour d’un barbecue entre potes.

Pour réussir un album aussi bon et ancré dans l’esprit Doom old school, faut-il forcément avoir une vraie culture du style ? Oui je pense, ce groupe est issu de ce genre et qui plus est de la vieille école. C’est différent de ce que propose la scène actuelle avec un Doom orienté Stoner, ma culture du style vient des vieux groupes, je peux citer comme ça Count Raven, les premiers Cathedral, ou les groupes de l’écurie d’Holy Records avec Serenity ou Godsend, par exemple. J’ai énormément écouté "Forest of Equilibrium", qui est un peu la genèse de Conviction comme "A Blaze in The Northern Sky" est celle de Temple of Baal. J’ai écouté pas mal de groupes très underground, qui restent encore inconnus malheureusement maintenant.

Comment est né le son de Conviction ? J’ai pris une habitude qui est de chercher des sons, de les travailler avec mon matériel. Pour Conviction, j’avais un son en tête, Frédéric Patte-Brasseur également et on a conjugué les deux pour obtenir le résultat. Je travaille beaucoup avec du matériel de la marque Orange qui est connu dans le milieu du Doom et du Stoner. On a trouvé la bonne combinaison avec les amplis et la pédale d’effet Fuzz Big Muff et du matériel Laney singature Tony Iommi, le tout passe dans un Two Notes Torpedo qui est un simulateur d’enceintes et de micro de grande qualité. On cherchait un son à la fois brut et à l’ancienne, pas un truc cliquant comme il se fait beaucoup aujourd’hui, on voulait un son proche du live, c’est pour ça qu’on l’a traité au minimum. Le but en somme a été d’avoir un son un peu moderne, mais très influencé par celui de Tony Iommi notamment celui des années 80, ce qui dans l’absolu ne sont pas compatibles au départ. Quand tu as passé une grande partie de ta vie à faire de la musique, que tu possèdes du matériel, que tu le connais, tu sais quelles combinaisons sonores associées pour obtenir ce que tu veux. 

Est-ce qu’il y a un thème en particulier qui se dégage dans l’album ? C’est ce qu’on peut imaginer quand on constate la forte identité du groupe. Je pense qu’on peut parler d’identité visuelle surtout. La pochette de l’album a été réalisée par Kax, elle a redessiné la photo d’une statue qui se trouve dans la collégiale de Gisors, cette statue représente un habitant de la ville au 16e siècle. Quand j’ai visité cette église j’ai été frappé par cette statue et l’expression du visage. Au-dessus, il y a un texte et une expression en particulier qui dit « fay maintenant ce que voudras avoir fait quand tu te mourras ». Cette expression m’a réellement frappé et a contribué à donner naissance à Conviction, ce visage fait partie de l’identité du groupe, il sera peut-être réutilisé par la suite, sous quelle forme, je ne sais pas, mais je pense qu’il sera toujours là. En ce qui concerne les morceaux, il n’y a pas de liens directs, je les ai écrits et utilisés pour la démo puis j’en ai ajouté deux de plus pour l’album. C’était important pour moi que ces morceaux soient réenregistrés et présents sur l’album, certains diront qu’on ne s’est pas foulé, mais quand tu retournes dans un passé pas si lointain, c’était la coutume de réenregistrer les démos pour la sortie du premier album. Metallica l’a fait, pourquoi pas nous. Les paroles sont quant à elles inspirées d’émotions très sincères que tu ressens au cours de ta vie. Le titre "Outworn" parle d’une histoire personnelle où un matin je me suis regardé dans un miroir et j’ai pleinement réalisé que je n’avais plus 20 ans, ce sentiment est commun à beaucoup de personnes, j’imagine. On grandit, on vieillit, on murit, on vit en croyant toujours avoir 20 ans puis un jour tu t’aperçois que non, ça peut mettre une grande claque. Je compose souvent sous le coup de l’émotion, si tu lis les paroles attentivement tu verras que des choses peuvent correspondre, en les réinterprétant, à des moments de ta vie.

Tu n'as pas hésité à traiter de sujets intimes, en somme ? Oui, c’est vrai. Pour rappel, la démo a été enregistrée en une seule journée, en une fois. Les deux morceaux supplémentaires ont demandé eux, plus d’élaboration et cela s’entend avec l’ajout de chœurs par exemple. Mais oui, j’y exprime des choses personnelles que je n’ai pas envie de développer et tu le comprendras sans peine, mais ces sentiments peuvent être partagés par une multitude de gens. Probablement passé un certain âge, mais pas seulement, il y a de jeunes personnes qui ont un parcours de vie puissant, fort, triste, et qui interprèteront les textes à leur manière puisque ce sont des émotions humaines ! J’ai cette réelle impression que ces textes parlent d’eux-mêmes et c’était le but.

Tes parties vocales sont étonnantes également. Quand on connait ton registre dans Temple of Baal, on ne peut qu’être surpris, tu avais déjà utilisé ce style de chant ou tu l’as travaillé ? Plus jeune, quand j’étais étudiant en musicologie, je faisais partie du chœur de la chorale de la fac à la Sorbonne, j’étais pupitre de basse et j’ai beaucoup bossé ma voix en chœur. Mais tout ça remonte à longtemps, même si dans mon esprit tout ça c’était hier. J’ai énormément travaillé ma voix durant cette époque et je suis passé pendant une vingtaine d’années quasi uniquement sur du chant Black Metal, qui tu en conviendras n’est absolument pas la même utilisation de la voix. Le placement n’est absolument pas le même sur du Doom que sur du Black Metal, il m’a fallu un peu retravailler ça, mais les prises définitives de l’album de Conviction se sont faites de manière spontanée, je me suis remis dans les conditions exactes que pour celles de la démo. J’étais seul face au micro, j’ai fait le boulot et j’ai envoyé le résultat à Fred pour qu’il mixe. Je concède que ma voix a des imperfections, les profs de chant me diraient qu’il faut retravailler pas mal de trucs, mais j’ai fait ça avec mon feeling, mes tripes, en exprimant des sentiments sincères. Du reste, il n’y a pas que ma voix, nous avons également mis des chœurs, tentés des choses, sur le dernier titre Fred à fait remonter ses influences du guitariste de Queen, Brian May, ponctuellement, on a des parties à quatre voix. Fred a une sacrée formation musicale qui a permis de faire des choses intéressantes.

L’album est sorti sur Argonauta Records, un label connu pour ce genre de productions, c’était un choix délibéré ? C’est un choix de ma part, je suis le travail de ce label, j’ai discuté avec des musiciens signés chez eux et tous m’ont dit qu’ils y sont bien. C’est un label qui travaille bien, qui ne fait pas de promesses qu’il ne peut pas tenir, qui dit les choses franchement. Je voulais vraiment signer avec une structure qui connait le Doom et tout le circuit qui va avec pour la promotion. Les choses se sont passées rapidement et simplement, j’ai envoyé la démo au boss d’Argonauta Records, le lendemain il me répondait qu’il sortirait l’album quand il serait prêt, sans mettre de pression. Jusqu’ici tout va très bien, s’il y a un deuxième album, ce que j’espère, il sortira également chez eux. Mais pour l’instant je profite des bons retours, et Argonauta Records également qui est très proche de nous.

Quel regard portes-tu sur l’industrie musicale actuelle ? Entre ventes physiques, digitales et plateformes de streaming, où se situe l’avenir selon toi ? Je pense qu’il y aura un mixe de tout ça, tout simplement. Cela dépend des styles musicaux néanmoins, dans le Metal une majeure partie de l’auditoire sera toujours intéressée par le physique, du moins c’est ce que je pense. Notre album se vend très bien, nous avons même des demandes pour une sortie sur support vinyle. Maintenant de mon expérience personnelle, je sais que les jeunes ne sont pas attirés par le physique, ils se tournent vers le streaming et spécifiquement YouTube ! Le problème, on le connait tous : la rémunération des artistes par les plateformes, aujourd’hui ce n’est plus un secret, la plus grosse part du gâteau, ce n’est pas les artistes qui la touchent. Les gens passent beaucoup de temps devant leur ordinateur, que ce soit au travail ou chez eux, et forcément ils écoutent de la musique de cette façon, c’est un fait, une réalité, a va être difficile de changer ça sauf si les plateformes font faillite ou qu’il y ait une implosion du système informatique mondial, ce que je ne souhaite pas, ce serait une drôle d’apocalypse. Le streaming a de beaux jours devant lui, notamment sur certains styles musicaux. J’ai vu un clash entre deux artistes de variétés, l’un de l’ancienne et l’autre de la nouvelle génération, et l’artiste de la nouvelle génération ne comprenait pas que l’ancien soit là, lors d’une émission pour recevoir un prix. Ce que cet artiste ne comprenait pas, c’est qu’il existe des ventes physiques, des concerts dans des salles et pas seulement un classement du streaming ! C’était hallucinant. La musique mainstream résonne en termes de classement streaming, elle ne vend quasiment rien en physique, mais ce n’est pas gênant parce que dans leurs stories Instagram ou autres, elles font du placement de produit. Ou alors les vrais artistes ouvriront leur propre plateforme, une dédiée à eux uniquement et toucheront tous les droits. Mais tu te vois t’abonner à 10 ou 20 artistes par mois, franchement ? Mais retenons que pour le Metal, le physique reste important, même s’ils écoutent de la musique sur les plateformes, ça ne les empêche pas d’acheter des disques.

Pour conclure cette interview, je vais te poser une question plus personnelle. Tu n’écoutes pas que du Metal, je sais que tu adores le vieux Rock, les grandes pointures comme Queen par exemple. Une époque formidable, pas vrai ? Mais Queen au Live Aid ou à Wembley en 1986, c’est magique ! C’était 4 mecs, 4 mecs pour un stade plein à craquer et un spectacle de dingue pour l’époque. Attention, c’était des musiciens incroyables, puis Freddie Mercury au-delà de ses capacités vocales emmenait le public avec lui par un simple geste, il le tenait, tu t’imagines toi tenir 80.000 personnes, comme ça ? Il avait un magnétisme très spécial. Queen et d’autres comme Led Zepplin, sont des géants de l’industrie musicale, une époque faite de gigantisme, c’était incroyable. J’ai vu au début des années 90 Metallica ou encore les Guns N’Roses dans des stades, au milieu d’une foule énorme. Imagine les musiciens sur scène, comme ça doit être fort pour eux ! Peut-être qu’au bout d’un moment ça devient un moment « normal », mais moi quand je voyais ça, je voulais devenir musicien forcément. Cette époque est un peu révolue malheureusement, la faute au streaming, à internet, au téléchargement… je ne sais pas trop, mais cette époque était formidable.

 

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  • Crédit photo: D.R.
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